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Ne gaspillons pas l’eau potable

L’eau potable est un trésor, trop souvent ignoré ou gaspillé. C’est aussi un enjeu, notamment lorsque l’eau naturelle est captée par quelques-uns, au détriment des nappes communes. Les rappels et mises au point sur ce sujet intemporel de disputes ne justifient même plus les précautions d’usage. Il est urgent et nécessaire, depuis si longtemps, de dénoncer le gâchis.

Assurer sous son robinet un écoulement d’eau dite potable, pour tous, est une de mes envies. Je m’en vais d’abord vous compter un épisode de mon histoire personnelle. Enfant, au fin fond de mon village, perdu quelque part entre la Haute-Loire et l’Ardèche, je partais quérir pour la maisonnée, à la proche fontaine, l’eau nécessaire pour les besoins quotidiens. Rien de pénible, nous y étions habitués. Mon père prélevait alors une ou deux gouttes d’eau de Javel, qu’il mélangeait à l’eau de la boisson quotidienne. Époque bénie : nous n’avions pas de tuyaux ni de robinet, mais nous avions la fontaine. J’en ai gardé la trouille viscérale de voir venir l’époque où l’on nous aurait équipés de tuyaux, mais pas d’eau : serait-ce ce qui nous guette ?

L’air du temps Nous venons de traverser un été particulièrement révélateur en ce qui concerne les prémices d’un manquement d’eau touchant directement nombre d’utilisateurs. Nous pouvions espérer que cette traversée du désert (je suis assez content de cette métaphore) aurait sensibilisé fortement les populations sur ce sujet. Quelques mois plus tard, nous devons hélas constater que le souvenir s’est évanoui pour le plus grand nombre. Des réactions il y en a, mais pas à la hauteur du problème, des enjeux, des propositions structurées et quelquefois simplement du respect d’engagements déjà pris. En voici quelques exemples.

La qualité de l’eau Lorsque l’on mesure tous ses composants (et pas seulement ceux qui nous arrangent), l’eau potable dépasse la norme admise sur certains éléments problématiques, comme le métolachlore. Les pouvoirs publics ont modifié la norme, pour faire en sorte que la qualité de l’eau soit considérée comme acceptable. Je n’exagère même pas : c’est exactement ce qu’a fait l’Agence française (ANSES) avec ce résidu d’un herbicide toujours présent dans certaines nappes, comme à Nort-sur-Erdre ou Massérac. Le métolachlore est jugé cancérigène par l’Agence européenne (EFSA). Qu’à cela ne tienne, l’Agence française en a multiplié par presque 10 le seuil toléré, dans un communiqué très alambiqué, mais clairement contradictoire.

L’influence de l’agriculture industrielle Nous sommes depuis plus de 20 ans activement impliqués dans la lutte contre la pollution de l’eau d’origine agricole. Nous dénonçons plus particulièrement l’usage abusif des pesticides. Au cours de cette longue et douloureuse expérience, nous ne pouvons que constater la démission des représentants de la nation dans ce combat. Il n’y a plus de ministre de l’Agriculture depuis deux mandatures : les titulaires successifs ont été de simples porte-parole de la FNSEA. Les responsables administratifs restent sagement aux ordres. Les directives, décrets et autres textes sont inspirés par cet organisme, avec l’accord des politiques. Précisons que ce syndicat représente essentiellement la branche productiviste du monde agricole. Celle-ci peut être estimée à 20 % du nombre effectif de ses adhérents. Mais ils tiennent toutes les Chambres d’agriculture, tous les organismes professionnels et sont massivement représentés dans les divers échelons (régionaux, départementaux ou locaux).

Les mégabassines  L’eau du sous-sol est une réserve qui appartient à tout le monde. Protégée de la chaleur et déjà partiellement filtrée par le calcaire et le couvert de surface, elle est moins polluée que l’eau des rivières. Elle est censée nous alimenter en eau potable. L’hiver, les nappes se rechargent avec la filtration des pluies dans les sols. Les captages empêchent cet effet de recyclage. Il s’agit bien d’une privatisation, un accaparement au profit de quelques grosses fermes ayant recours à l’irrigation massive. Les préfectures de Charente-Maritime et des Deux-Sèvres avaient interdit tout remplissage de retenue et plan d’eau à partir de décembre. Mais en y regardant de plus près, un petit alinéa soulignait que la bassine de Mauzé-sur-le-Mignon faisait l’objet d’une dérogation. C’est une véritable arnaque. Résultat : au printemps, les seuils étaient tellement bas qu’ils ont dû arrêter de pomper. Ces ouvrages coûtent cher, mais sont financés à plus de 70 % par l’argent public. Quant au rôle de l’État, nous sommes bien au-delà de l’ambiguïté : les décisions préfectorales sont manifestement inspirées par le lobby agricole, comme en sous-main.

Limites planétaires Il est admis que le monde compte neuf limites planétaires. Celles du changement climatique, de l’érosion de la biodiversité, des perturbations du cycle de l’azote et du phosphore, de l’usage des sols, de l’introduction de produits chimiques dans la biosphère, ont été atteintes (dont la dernière en 2022 déjà). La sixième, celle de l’eau douce, vient d’être également franchie en 2022. Seules trois n’ont pas encore été dépassées : l’acidification des océans, les aérosols dans l’atmosphère, l’ozone dans la stratosphère. Ainsi, pour la deuxième fois dans la même année, le monde a franchi une nouvelle limite planétaire, celle du cycle de l‘eau douce (dite « eau verte »). Les scientifiques expliquent que ce cycle, qui comprend les précipitations ainsi que l‘humidité du sol et l‘évaporation, est désormais en dehors de la zone de sécurité. Elle est pourtant fondamentale pour la dynamique du système terrestre. Elle est maintenant largement perturbée par les pressions humaines aux échelles continentale et planétaire.

Conférence mondiale COP27 « Pitoyables » : c’est ainsi qu’à quelques jours de l’ouverture de la COP27 en Égypte, le secrétaire général des Nations Unies Arturo GUTERRES a qualifié les engagements pris par les pays pour limiter leurs émissions de gaz à effet de serre. La conséquence est une prévision de réchauffement global catastrophique de 2,6°C d’ici la fin du siècle. Renforcer les engagements souscrits, tout en soutenant davantage les pays et populations les plus vulnérables aux impacts du changement climatique, s’avère plus que jamais nécessaire. Concrètement, Arturo GUTERRES a rappelé que les engagements « ne valent rien sans des plans, des politiques et des mesures pour les atteindre ». Sur cet enjeu, la France a encore du chemin à faire pour décarboner ses secteurs les plus émetteurs, comme celui des transports, en investissant massivement dans les politiques de sobriété, les techniques alternatives, les changements d’usages.

Des réactions en vrac Selon les uns : « Agiter de l’urgence climatique, faire des coups d’éclat, cela me semble un peu naïf, même si je respecte ceux qui le font » ; ou bien « Les scientifiques doivent revenir à beaucoup de modestie » ; ou encore « Nous sommes le laboratoire d’analyses qui mesure un taux de cholestérol trop élevé. Décider ensuite s’il faut faire du sport ou arrêter le saucisson appartient au patient, pas au laboratoire ». Pour d’autres : « Nous avons toutes les connaissances dont nous avons besoin ; le facteur limitant, c’est la volonté politique et ça ne s’obtient pas en écrivant des rapports ».

Et moi, et moi, et moi Je peux ouvrir les yeux, constater ce désordre, repérer les pressions de certains lobbys pour que la rentabilité de leurs investissements se poursuive gentiment. Suivre des conseils de bon sens, en essayant de limiter au mieux la consommation de l’inutile. On ne peut que regretter à ce propos que la majorité des engagements politiques restent bien timides ou même inexistants. À chacun de faire sa propre philosophie pour concourir à des économies globales ou particulières. Dans ce méli-mélo, on voit émerger des conseils a priori assez futiles, tels qu’économiser l’eau en lavant sa salade et la récupérer (l’eau, pas la salade) pour arroser les pots de fleurs. Cela peut faire sourire ou au contraire mettre en colère en pensant que ces actions ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. J’y vois pourtant un grand mérite : celui d’avoir constamment à l’esprit la nécessité de se mobiliser pour des économies de tous les jours. Sinon, nos bonnes pensées tombent dans l’oubli et nous reprenons le cycle de consommation comme avant. Parmi les petits gestes pour chacun et tous les jours, on peut diminuer le temps de la douche, réduire le volume de la chasse d’eau. Certains chiffres m’estomaquent : chaque jour, un habitant de Loire-Atlantique consomme 135 litres d’eau potable, dont 7 % seulement sont bus ; 70 % de notre eau vient de la Loire ; le prix de l’eau (si mal réparti) va de 2 à 4 € le mètre cube. Et maintenant, je vous quitte pour aller arroser mes plans de chanvre récréatif.

par Jean BOURDELIN – UFC Nantes

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